Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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création graphique © atelier du nomansland
Girodet, peintre et poète.









01/12/2005

L’exposition du Louvre permet de redécouvrir l’œuvre de Girodet, peintre injustement tombé dans l’oubli et dont seul Baudelaire semblait se souvenir, en admirant la « singularité de son talent ».

Les tableaux historiques d’Anne-Louis Girodet-Trioson révèlent l’influence de son maître, David. Pourtant, très vite, Girodet va se distinguer des autres élèves de l’atelier de David, et on découvre chez ce peintre une forme audacieuse, personnelle, en rupture avec le classicisme. L’artiste mélange les genres : portraits, peintures d’histoire, paysages, natures mortes. Il laisse parfois libre cours à une imagination qui déborde et choisit une grande diversité dans ses sujets : thèmes ossianiques1 inspirés de mythes celtes, orientaux pour une série de portraits, littéraires dans ses illustrations de Racine, Virgile, Sapho.

L’exposition s’ouvre sur une œuvre tardive (1810), très personnelle. La magnifique Révolte du Caire, commande de Napoléon pour exalter les campagnes impériales, constitue pourtant un véritable manifeste du romantisme par la sensualité, la violence et la poésie qui en émanent. Ses œuvres peuvent être à l’image d’un érotisme raffiné, tel le sublime Sommeil d’Endymion, toile romantique et moderne qui montre un nu androgyne et sensuel dans une scène mystérieuse et troublante. Ce qui fait lire aussi l’œuvre de l’artiste dans une interprétation homosexuelle.

Girodet exprime aussi l’extravagance d’un rebelle et peint avec virulence, sans tenir compte des convenances. Ainsi, Mademoiselle Lange en Danaé, caricature satyrique redoutable d’une mondaine célèbre à qui il fait payer un jugement négatif sur une de ses toiles. Girodet punit le pouvoir en place - en témoignent trois études au vitriol sur Napoléon faites à partir d’une sieste de l’empereur lors d’une représentation théâtrale. Loin des règles académiques, sa superbe et forte Scène du Déluge ne répond à aucune commande précise, mais permet à Girodet, au Salon de 1806, d’affirmer l’universalité de sa démarche esthétique.

Girodet réinvente l’art du portrait, s’affirmant différent de la tradition et très personnel. On connaît le beau portrait qu’il fit de son ami, Chateaubriand, qui orne aujourd’hui encore les éditions de poche de l’œuvre de l’écrivain. Ses portraits des Grands Hommes témoignent de l’effervescence politique et historique couvrant la Révolution, l’Empire et la Restauration. On y voit G. Fravega, révolutionnaire italien, ou Cathelineau vendéen.


Le remarquable tableau C.Belley, ex-représentant des colonies, législateur noir, militant pour l’abolition de l’esclavage, député à Saint-Domingue, prouve que Girodet sait donner au portrait une dimension artistique révolutionnaire et universelle, où politique et peinture fusionnent.

Ce sont aussi les sentiments personnels des hommes que le peintre met en valeur, autant dans sa représentation des Orientaux, Portrait d’un Indien, que dans celles des portraits privés dont on lui fait commande (La Reine Hortense, La Comtesse de Bonneval). Enfin, les portraits liés à l’enfance, Benoît Agnès Trioson, tous beaux, très émouvants, chantent l’introspection solitaire, la mélancolie, la contemplation, aux dépens de la discipline.

Les thèmes littéraires vont inspirer le peintre, qui écrit par ailleurs de la poésie assez médiocre. Il illustre Phèdre et Andromaque de Racine, l’œuvre de Virgile, L’Énéide, puis celle de Sapho. Il peint La Mise au tombeau d’Atala, mais là où Chateaubriand veut faire triompher le christianisme, curieusement, dans ce tableau splendide, la symbolique chrétienne devient discrète, voire presque absente.

Girodet, célèbre en son temps, ne doit pas rester méconnu aujourd’hui, et c’est justice que le Louvre lui rende hommage. Girodet est effectivement un très grand peintre. Son œuvre incarne à merveille l’idée qu’il proclamait : « Faire de la peinture une poésie et de la poésie une peinture ».

Laura Laufer

1. Ossianique : qui appartient aux poèmes attribués à Ossian (chants de guerre et d’amour).

• Exposition « Girodet (1767-1824) », jusqu’au 2 janvier 2006, au musée du Louvre à Paris.