Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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Nul ne survivra d’André de Toth. Archives sonores A. de Toth, Bertrand Tavernier. Filmer les camps.

NAZISME et CRIMES CONTRE L’HUMANITE (1ere partie)








Il y quelques années, la projection du très curieux et remarquable film d’André de Toth, None Shall Escape (Nul n’échappera 1944) (copie originale non restaurée) m’avait convaincue de livrer plusieurs articles, entretiens ou archives sonores liés au sujet de la déportation et des crimes contre l’humanité commis par le nazisme tels que le cinéma (ici américain) les a représentés. Vous entendrez en fin d’article un témoignage de Bertrand Tavernier qui nous parle de son ami André de Toth et... André de Toth que j’avais enregistré lors d’’une visiteà Paris, invité par la Cinémathèque française alors domiciliés dans la salle de l’ancien Action République !
None Shall Escape
Tourné en 1943, mais sorti en 1944, le sujet de None Shall Escape préfigure l’exigence de juger les crimes contre l’humanité ; il est aussi un des rares films de fiction d’ Hollywood qui se réfère clairement à la persécution des Juifs par les nazis.

En effet, Hollywood ne se lancera dans la dénonciation du nazisme qu’après la défaite de Pearl Harbor et parce que, dans ce cas, ce sont les Etats -Unis qui subissent l’agression.

Peu de films de fiction américains mentionnent les persécutions antisémites dues au nazisme. Je citerai ici de mémoire The mortal storm- La tempête qui tue, 1940 de Frank Borzage, This land is mine - Vivre libre 1943 de Jean Renoir, Once upon a honeymoon - Lune de miel mouvementée,1942 de Leo Mac Carey et bien sûr The great dictator - Le Dictateur,1940 de Charlie Chaplin.
Il faut aussi signaler que Fritz Lang souhaitait tourner une nouvelle version du célèbre Golem dont l’action se serait déroulée sous l’occupation nazie dans le ghetto juif de Prague, mais il ne parvint jamais à réaliser ce projet.

L’action de None Shall Escape située en Pologne, anticipe sur le lendemain de la deuxième guerre mondiale car elle relate le procès d’un dignitaire nazi qui doit répondre de ses agissements. Certaines scènes de massacres reflètent l’expérience personnelle de De Toth qui avait filmé pour une agence d’actualités, des phases de l’invasion nazie en Pologne.

None Shall Escape - Nul n’échappera fut écrit par le scénariste communiste Lester Cole, future victime du maccarthysme. Lester Cole, un figure sur la fameuse liste noire des Dix d’Hollywood. il sera un des irréductibles, d’ailleurs emprisonné un temps. Son scénario évoque les origines du nazisme en les faisant remonter au Traité de Versailles, fustige son idéologie et met en garde contre tout pardon à l’égard des responsables de crimes contre l’humanité, d’ où le titre du film None shall escape - Nul n’échappera. En effet, ce titre se réfère, non aux victimes, mais aux bourreaux qu’il s’agit de juger en affirmant qu’aucun d’entre eux ne pourra se soustraire au jugement de "crime contre l’humanité". À ma connaissance, il s’agit de la première fois que cette qualification de crime contre l’humanité est évoquée dans un film.

De même, None Shall Escape est probablement le seul et unique film de fiction hollywoodienne où l’on voit et entend un personnage de rabbin exhorter la communauté juive à résister et à se révolter par les armes contre le nazisme.

C’est probablement au scénariste Lester Cole qu’on doit l’idée, défendue ici par le rabbin, que pour vivre dans un monde en paix, seule la lutte pour des droits égaux permettra d’assurer l’intégration sociale des différentes communautés.

Quant à l’inscription sur la croix de bois que vous voyez dans l’extrait ci-dessous, ce n’est pas à la symbolique chrétienne qu’il y a lieu de la rattacher car cette croix porte, inscrits en polonais les mots suivants : "attention aux trains". Il s’agit donc ici, d’avertir du rôle joué par les trains dans la déportation et du danger qui existe à y monter.

J’ai pu trouver cet extrait de film ici :

La violence et la tension vont crescendo dans ce film qui possède une structure narrative parfaitement maîtrisée et d’excellents acteurs.
Signalons aussi, curieux hasard, que les deux acteurs principaux, le canadien Alexander Knox et l’américaine Marsha Hunt seront tous deux, comme Lester Cole, victimes du maccarthysme et inscrits sur Liste noire.
De Toth avait choisi Alexander Knox, acteur shakespearien parce qu’il l’avait vu jouer dans Les trois sœurs de Tchevov au théâtre. On retrouvera cet acteur, parti en Angleterre durant le maccarthysme, dans La bête s’éveille, Les damnés et Accident de Joseph Losey, autre victime de la Chasse aux Sorcières.
Quant à Marsha Hunt qui avait joué ou était apparue régulièrement au cinéma de 1935 à 1949 dans 52 deux films, on ne la vit plus que dans trois films en 8 ans après son inscription sur Liste noire. Sa carrière ne put redémarrer qu’en 1957. On la retrouvera ausssi dans Johnny Got His Gun, où elle joue la mère de Timothy Bottoms, film réalisé par le scénariste Dalton Trumbo, autre ancienne victime du maccarthysme.

Laura Laufer

J’emprunte en partie à Wikipédia la biographie du cinéaste tout en précisant quelques détails oubliés :
André De Toth, de son vrai nom Andreas Toth, fils d’un officier des hussards hongrois, étudiant à l’Université de droit de Budapest, entre dans la carrière cinématographique à partir de 1931, en tant que scénariste, monteur et assistant-réalisateur. Il est l’auteur de cinq films hongrois pratiquement inconnus en Europe sous le nom d’Endre Toth.

En 1939, il filme en direct l’invasion de la Pologne par les troupes nazies. De cette expérience terrible, André De Toth s’inspirera pour réaliser, en 1944, un film d’une lucidité peu ordinaire : None Shall Escape (Nul n’échappera), longtemps inédit en France.

André de Toth choisit de fuir son pays, et s’expatrie en Angleterre en 1940, où il travaillera auprès de son compatriote Alexander Korda. Grâce à celui-ci, il se rend aux États-Unis, où le patron de la Columbia, Harry Cohn, lui confie ses premières réalisations. Il s’illustrera dans les genres en vigueur dans le cinéma hollywoodien : film d’aventures, film noir, film de guerre et surtout dans le western (il en tourna onze, dont six avec Randolph Scott).

De retour en Europe en 1960, il laissera des films plus modestes, à l’exception du film Enfants de salauds (Play dirty) (1968).

Personnage haut en couleurs, il fut marié à sept reprises. L’actrice Veronica Lake fut sa première épouse et la plus célèbre.

André De Toth possédait plusieurs cordes à son arc : peintre et sculpteur également, il exposa à Los Angeles en 1987.

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Les quatre borgnes d’Hollywood.

De Toth était avec John Ford, Raoul Walsh, Fritz Lang le quatrième "borgne" d’Hollywood ce qui ne l’a pas empêché de réaliser un film en relief, l’excellent House of wax,L’homme au masque de cire en 1953 avec Vincent Price.

- ARCHIVES SONORES ©Laura Laufer : André de Toth et Bertrand Tavernier.
Ici un court extrait d’une rencontre avec André de Toth que j’ai enregistrée dans l’ancienne salle de cinéma Action République. De Toth nous parle (en anglais) du principe de vérité qui conduit ses films et de la censure du code Hays face à l’évocation de sujets tels le divorce ou l’adultère.

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André De Toth ©Laura Laufer

Bertrand Tavernier nous parle de son ami Andre De Toth

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Bertrand Tavernier à propos d’A.de Toth. Enregistré le 8 juin au Memorial de la Shoah

- Filmer les camps de la mort.

Jusqu’au 31 août 2010, le Mémorial de la Shoah présente l’exposition Filmer les camps qui éclaire le visiteur sur le contexte de production de ces images dues à trois grands d’Hollywood : John Ford, Georges Stevens, Samuel Fuller.

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Dans les années 1930, John Ford officier de réserve de la Navy, crée une unité d’opérateurs de prise de vues qui sera rattachée durant la 2ème Guerre Mondiale à l’OSS (Office of Strategic Services, Agence centrale de renseignements). Ford a déjà formé une soixantaine de techniciens qui seront opérationnels dès l’été 1941 et il filmera lui même la bataille de Midway où il perd un œil. Le directeur des services secrets lui confie la direction de la Field Photographic Branch (FPB) pour réaliser Les Camps de concentration nazis (1945). Le film doit collecter des images des atrocités nazies sur place pour servir de preuve de ces crimes devant le Tribunal de Nuremberg. La FPB doit également filmer le procès. Monté par John Ford et signé par son assistant Ray Kellog, Les Camps de concentration nazis utilisera essentiellement les images filmées par l’équipe de George Stevens.

George Stevens, ancien opérateur photo des courts métrages de Laurel et Hardy, devint célèbre pour ses comédies et ses comédies musicales dont Swing Time avec Fred Astaire et Ginger Rogers. Durant la guerre, à la tête d’une unité de l’U.S. Army Signal Corp, il couvre la campagne nord-africaine et Eisenhower pour le débarquement de Normandie lui ordonne de former une équipe de 45 personnes, la Special Coverage Unit (Specou) avec écrivains, cameramen, preneurs de son et l’ancien assistant de Hal Roach (le producteur des films de Laurel et Hardy). Ils filmeront la libération du camp de Dachau. George Stevens qui possède une caméra 16mm prend aussi, à titre privé, des images de ce qu’il voit sur de la pellicule couleur. Il conservera ces images précieuses toute sa vie et c’est son fils qui les donnera ultérieurement à la Bibliothèque du Congrès à Washington. Filmées de manière libre et plus subjective, on y découvre des images inédites comme ces soldats américains demandant aux prisonniers de dénoncer les gardes cachés parmi eux ou les visages de soldats allemands battus à mort par les anciens détenus du camp.

Samuel Fuller d’abord « crime reporter » dans la presse tabloïd, puis scénariste, rejoint la première division d’infanterie de l’armée américaine, la fameuse Big Red One en 1942. Au printemps 1945, son capitaine lui demande de filmer la libération du camp de Falkenau, en Tchécoslovaquie, avec la caméra Bell & Howell 16 mm que lui a envoyée sa mère. Fuller fera là son premier film.

Quel impact auront eu la guerre et la vision de la barbarie nazie sur ces trois cinéastes ?

Constatons que leurs films se firent plus pessimistes ou noirs : à commencer par le western fordien.

A propos de John Ford qui fut un des plus grands créateurs de formes cinématographiques, auteur d’une œuvre extraordinairement riche profonde et complexe, on ne comprend pas comment le public intellectuel branché ou contestataire des années 1970 a pu faire de lui, le chantre de la réaction ou du racisme !

Ford sera avec Delmer Daves, un des premier à montrer dans ses films le racisme du Blanc et sa responsabilité dans les massacres d’Indiens (Massacre de Fort Apache, Les Cheyennes), à défendre le droit du sol contre le droit du sang (Les deux cavaliers), à chanter les couleurs du métissage (La taverne de l’Irlandais)...

George Stevens très marqué par l’expérience de la guerre et la découverte de Dachau, abandonnera la comédie au bénéfice d’œuvres plus dramatiques comme Le Journal d’Anne Frank ou le magnifique Une place au soleil. On y voyait un jeune ouvrier, après avoir rencontré une riche héritière, supprimer sa femme, une jeune ouvrière, enceinte de lui. Un portrait d’ homme obscur, médiocre mais ambitieux qui préférant une jeune femme de l’élite choisissait d’éliminer la sienne parce que faible et humble.

Quant à Fuller, il montre la violence et le chaos engendrés par la guerre dans Verboten où le procès de Nuremberg est évoqué, mais aussi dans Steel Helmet, China Gate, Merril’s Maraudeurs ... et dans son évocation autobiographique de The big Red One .

Laura Laufer

Nota bene : l’exposition montre aussi un extrait de La mémoire meurtrie de Sydney Bernstein, film tourné à l’ouverture du camp de Bergen Belsen, sans préciser qu’il s’agit là non pas d’un film réalisé par les Américains mais par les Britanniques et dont le conseiller à la réalisation fut Alfred Hitchcock.
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