Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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Colorado territory (La fille du désert) de Raoul Walsh









par Laura Laufer- 25/02/2009-

(Colorado Territory) de Raoul Walsh (USA, 1949, 1 h 34) avec Joel McCrea, Virginia Mayo, Dorothy Malone.

La fille du désert est le remake, à huit ans de distance, du film La grande évasion (High sierra, 1941, film noir avec Humphrey Bogart et Ida Lupino) dont l’auteur était déjà Raoul Walsh. Les deux films ont été produits par la Warner d’après un roman de William Richard Burnett co-auteur avec John Huston, du scénario et des dialogues de la première version.

MAKE, REMAKE et VARIATIONS…

Le récit de W. R Burnett connaîtra un troisième remake avec La peur au ventre (I died a thousand times, 1955) où l’acteur Jack Palance, magnifique, reprenait le rôle de Bogart. Ce film de Stuart Heisler, réalisateur prolixe, monteur de Walsh en 1936 pour Klondike Annie, fut tourné comme High Sierra au Mont Whitney, le plus haut sommet des USA .

Raoul Walsh comme Leo Mac Carey, Alfred Hitchcock,Yasujirō Ozu..., a tourné des remakes (reprises) de ses propres films. L’exercice de la reprise sera chez Walsh vide de tout ornement, fioriture, maniérisme et souci de réactualisation. Ses films, universels dans la création d’archétypes, n’ont nul besoin d’un habit contemporain pour une pseudo modernité. Alors quelle différence entre High Sierra et Colorado Territory ? Dans le premier, la douceur et la tendresse qui existent dans la relation entre les personnages joués par Bogart et Lupino atténuent le destin tragique qui voit mourir, seul, le personnage de l’homme. Dans le deuxième film, plus noir, plus pessimiste, plus désespéré, c’est le couple qui meurt dans une splendeur tragique qui rappelle la furie lyrique de Duel au soleil de King Vidor, film de trois ans son aîné.

Les remakes de Walsh changent simplement de genre, passant du film de guerre ou du film noir au western. Rappelons que Raoul Walsh qui tourne dès 1912, est l’auteur de westerns parmi les premiers parlants de l’histoire du cinéma, en 1929 avec In Old Arizona et en 1930 avec La piste des Géants. Dans le premier, réaliste et cocasse, Walsh explorait les possibilités des sons en jouant de variations sur les déplacements des personnages, les coups de feu, les pas des chevaux et dans le second, le cinéaste évoquait l’ouverture de la piste de l’Orégon et la ruée vers l’Oklahoma. La piste des Géants offrait au western une épopée magistrale qui se déployait dans des paysages superbes et spectaculaires où Walsh affirmait son génie plastique, son sens du rythme et du récit.

VICTIMES DU DESTIN

Shakespearien passionné, Raoul Walsh dans ses meilleures œuvres met en scène des forces de la nature et par forces de la nature, entendez les personnages comme les paysages, les deux étant le plus souvent intimement liés. C’est le cas dans Colorado Territory dont les deux héros, Wes Mac Queen (Joël Mc Crea) et Colorado Carson (Virginia Mayo) se lancent dans une aventure ultime où se fracasseront leur ambition et leur désir. Des héros mis au ban de la société qui emportent l’affection du spectateur par leur noblesse de caractère et leur but car Wes, un bandit et Colorado, une entraîneuse métisse pueblo, rêvent de liberté, d’éthique, de « renaissance » dans une vie meilleure. Le film décrit le mouvement de leurs rêves et de leurs espoirs.

Le don narratif de Walsh crée souvent des personnages hors du commun, notamment ses personnages féminins remarquables par leur force de caractère et leur dimension érotique. Ainsi Colorado, magnétique et magique superbement campée ici par Virginia Mayo, une actrice avec laquelle Raoul Walsh aimait beaucoup travailler. On aurait tort de voir dans l’œuvre de Walsh, l’exaltation de valeurs essentiellement machistes ou viriles, comme certains l’ont, à tort, dit ou écrit.

Cet artiste pionnier a offert au cinéma quelques très beaux et sensibles portraits de femmes. Ainsi celles, réputées de « mauvaise vie » rêvant comme Colorado d’un nouveau départ et d’une vie meilleure. Sadie Thomson petite prostituée incarnée en 1928 par Gloria Swanson, puis plus tard l’ancienne entraîneuse que joue Marlene Dietrich dans Manpower , les personnages d’Ida Lupino dans The man I love, d’Yvonne de Carlo dans l’Esclave libre ou de Jane Russel dans The revolt of Mamie Stover, sans oublier les formidables femmes tumultueuses et truculentes du Roi et quatre reines, des Implacables ou celles dont le caractère noble, tendre et doux émeuvent avec subtilité telles Ida Lupino dans High Sierra ou Joan Collins dans Esther et le Roi. Des femmes remarquables donc, et des personnages, à bien des égards, transgressant les normes du code de censure Hays qui a réglementé le cinéma américain de 1930 à 1966.

De l’art du récit, Walsh est un maître. Ce formidable conteur d’histoire (story teller), choisit au début de Colorado Territory de situer d’emblée le contexte de l’action et le caractère du héros dans des séquences - l’évasion de la prison, le sauvetage d’une diligence attaquée, scènes maintes fois vues ailleurs !- en plans très courts, au montage sec et elliptique. La rigueur, l’économie, la sécheresse de style se révèlent toujours chez Walsh une qualité et non un défaut, et sont en harmonie totale avec le lyrisme, la complexité et la profondeur de l’œuvre, l’écriture walshienne correspondant toujours à une nécessité interne, organique, et liant indissolublement la stricte logique des événements à la réflexion et à la poésie créées par le mouvement de l’œuvre.

D’une insolite beauté plastique, Colorado Territory possède une étrange force lyrique et tragique qu’amplifie le choix des lieux servant de décor à l’action. Ainsi les paysages quasi fantastiques évocateurs du cimetière ou du sépulcre, le mouvement des nuages, le vol d’un vautour dans une grotte…Tous accompagnent l’élévation du rêve, l’engloutissement de l’espoir et jusqu’à la mort des deux amants non loin des ruines troglodytes et de la Cité de la lune, au pied des hautes falaises de grès du Mesa Verde, dans cet Etat du Colorado dont le nom sert de nom de baptême comme de tombe à l’héroïne.

Nul ne forge mieux son destin par son action que le héros du cinéma de Walsh. Si après la mort des deux héros, une vieille mission espagnole peut revivre comme un signe de salut , il faut y voir d’abord le mouvement de la vie. Ce pour rendre plus poignante, par contraste, cette chevauchée tragique du destin de Colorado et de West qui ne sont jamais sortis de la prison dans laquelle ils s’étaient laissés enfermés sauf à travers les éclairs fulgurants de l’Amour fou.]]


25/02/2009- © Laura Laufer

Laura Laufer a collaboré à Trafic 28 éd. POL. 1998 consacré à Raoul Walsh, 14,48 €. www.polediteur.com

Livre Raoul Walsh. Les Couleurs de l’Histoire, Laura Laufer. Ed. Cinémathèque Portugaise - Musée du Cinéma. Lisbonne, 2001. 17,46 €. www.cinemateca.pt