Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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La destruction des juifs d’Europe : le massacre de Babi Yar.

Musique, cinéma : censures du massacre de Babi Yar.








Le massacre de Kiev (Babi Yar) , 33 771 juifs sont assassinés par balles les 29 et 30 septembre 1941.

Dmitri Chostakovitch écrit sa Treizième symphonie en mémoire des victimes sur des poèmes de Evgueni Evtouchenko. Tous deux seront contraints de réviser leur copies pour pouvoir être joués, les autorités soviétiques n’appréciant pas une évocation trop "anti patriotique" et "cosmopolite" !

Massacre de Kiev-Babi yar
Les 28 et 29 septembre 1941, 33 771 Juifs furent assassinés à Kiev dans le ravin de Babi Yar par les nazis et leurs supplétifs ukrainiens. La topographie du lieu facilitait l’exécution de ces crimes. `
Les massacres de Babi Yar s’étalèrent en fait sur plusieurs mois. Entre 100 000 et 150 000 morts (Juifs,Tziganes, malades mentaux et handicapés, prisonniers de guerre et civils soviétiques, opposants et résistants, communistes...) furent assassinés à la mitrailleuse. Les victimes étaient conduites avec brutalité sur les lieux par Les volontaires ukrainiens supplétifs des Einsatzgruppen portaient main forte aux opérations de tuerie. Avec la mise en place, en 1942, du camp de concentration de Syrets à proximité du ravin des assassinats furent commis en camions de gaz.
Le film de Marc Donskoï , Tarass l’indomptable, évoque ce massacre, mais la Symphonie Babi Yar sous titrée à la Mémoire des martyrs de Babi Yar (1945) du compositeur Dmitri Klebanov jugée "anti patriotique" est interdite. Klebanov, qui enseignait la composition au Conservatoire de Kharkov, est mis au ban de la vie artistique musicale et l’oeuvre sera créé en 1990 après la mort de son auteur.
Ce sont l’écrivain Ilya Erhenbourg et le poète Lev Ozerov qui rédigent le témoignage sur le massacre de Kiev- Babi yar dans Le livre noir que consacrent Erhernbourg et Vassili Grossman aux 800 000 à 1 million de juifs soviétiques assassinés par les nazis en Ukraine. Après publication et diffusion aux Etatus Unis, en Grande bretagne et Australie, Le Livre noir est interdit en 1947.
Oserov interrogé par le journal français Libération dit à ce propos : "Ehrenbourg et Grossman m’ont raconté que Staline avait dit à Jdanov, le chef de la censure : « Pourquoi distinguer l’un des peuples qui a souffert alors que tous les peuples d’URSS ont souffert ? Même si nous savons qu’il n’y a que des Juifs dans ce ravin, nous dirons qu’il y tous les peuples dans cette fosse. » Aucun des auteurs de ce livre n’était nationaliste, n’avait le sentiment que le peuple juif était au-dessus des autres. Staline a fait fusiller les représentants de la culture juive. J’ai été traité de nationaliste juif parce que j’avais traduit en russe des poètes yiddish, et été exclu de l’Institut où j’enseignais pendant la campagne contre les « Cosmopolites »".
Toute évocation du massacre est désormais tabou.
dans les années 1950 , le site du massacre est réaménagé et disparaît sous les constructions urbaines.
Le 10 octobre 1959, l’écrivain Viktor Nekrassov, ancien de la bataille héroïque de Stalingrad réclame dans la Gazette littéraire l’édification d’un monument en mémoire des victimes du massacre "Pourquoi n’est ce pas fait ? A la direction architecturale de Kiv on m’a dit qu’il était question de combler le ravin, en d’autres termes de le remblayer, de le niveler. et de faire un parc à la place, de construire un stade... Est ce possible ? Qui a pu imaginer cela "combler un ravin profond de 30 mètres pour se divertir , pour jouer au footbal sur le lieu d’une des plus grandes tragédies ? Non ceci est inacceptable ! " écrit-il .
Chaque année Nekrassov se rend sur le site du massacre.
En 1961, c’est le poète Evgueni Evtouchenko se rend à Babi Yar en compagnie de l’écrivain Anatoli Kouznetsov.
Choqué par la vue de la décharge où s’accumulent des immondices sur le site du massacre, Evtouchenko écrit le 19 septemebre 1961 un poème sur le massacre de Kiev (Babi yar) que Dmitri Chostakovitch souhaite mettre en musique sa Treizième symphonie.
Les chefs d’orchestre refusent de jouer l’oeuvre, conseillés en cela par des responsables du Comité central. Néanmoins Kirill Kondrashin acceptera à la la condition souhaitée par les autorités : le texte du livret doit être modifié. Le poète Evtouchenko doit revoir sa copie...

En 1966, Viktor Nekrassov et une centaine de personnes tentent de commémorer le massacre contre la volonté des autorités. Le producteur des images de ce rassemblement est muté. Les images tournées par Edouard Timine n’atteignent pas les écrans.
En 1966 et en 1976 sont érigés deux monuments. Aucun ne fait référence aux victimes juives.

La reconnaissance viendra en 1989 avec l’ajout de stèles écrites en russe et en hébreu. Aujourd’hui, c’est dans la première semaine d’octobre que l’on commémore ce massacre.

Aujourd’hui, les cérémonies de commémoration du massacre se déroulent dans la première semaine d’octobre.
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‘"Filmer la guerre", la Shoah vue par les... Extrait de séquences : images prises par Roman Karmen ,Aleksander Ford etc... Vidéo d’analyse de la censure des images et de leur révision par la mise en scène ou le montage des documentaires sur les camps d’extermination (Majdanek, Auschwitz...)

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Filmer la guerre : les Soviétiques face à la Shoah (1941-1946) Exposition du 9 janvier au 27 septembre 2015 au Mémorial de la Shoah

Un grand roman de la patrie

A l’Ouest, les déportés mouraient surtout de faim et de maladie, en raison de nombreuses épidémies. C’est à l’Est que se trouvaient les camps d’extermination. Les archives soviétiques, longtemps restées inaccessibles, constituent la source d’images la plus riche concernant le génocide juif, avec des images collectées par près de 400 opérateurs cinématographiques en Lettonie, en Pologne, en Russie et en Ukraine.
L’exposition présentée au Mémorial de la Shoah avec des textes de Valérie Pozner, Alexandre Sumpf, Vanessa Voisin fait découvrir des documents rares et inédits.
Dans l’exposition Le visiteur découvre une première catégorie de films dont les images documentaires sont uniquement des rushs pris sur le terrain. Ces rushs font l’objet d’un compte rendu détaillé (lieu, date…) rédigé par l’opérateur pour le chef d’équipe à l’état-major. Ces rushs d’archives constituent par leur grand nombre un témoignage précieux mais ils n’ont jamais été montrés au public.
La deuxième catégorie de films montrés dans l’exposition concerne la grande production d’images tournées en studio et destinées au public. Il s’agit de reconstitutions et de mises en scènes de pure propagande où acteurs et figurants jouent les déportés et les soldats libérateurs, les victoires et les combats. On acclame le soldat en héros et le déporté humblement est souriant, propre et en bonne santé. Ces créations cinématographiques façonneront l’imaginaire visuel de la représentation de la guerre tout en ciblant un objectif précis : mobiliser les soldats et la population. Pour cela, les films font appel au seul registre émotionnel où le jeu des acteurs doit susciter chez le spectateur la compassion pour le peuple soviétique et la haine pour l’occupant et ses séides. Le caractère solennel de ces films s’affirme aussi par une omni-présence du prêtre orthodoxe qui vient bénir les cadavres. Indifférenciés dans les fosses, les morts ne font qu’un seul peuple, une seule patrie, une seule religion.
Par ailleurs, des films de propagande à visée internationale sont produits pour les Alliés. Ils présentent des images de réels combats, les souffrances du peuple, la résistance russe, les exactions nazies. Le but est ici de convaincre de la nécessité de l’ouverture d’un deuxième front en Europe.

Les opérateurs sur le terrain des combats filment dans des conditions très dures. Le matériel de prise de vue sur pied pèse lourd. De nombreux films sont muets faute de moyens sonores. Par la suite, les Soviétiques négocieront avec les Américains, l’acquisition de caméras portables de Chicago, l’Eyemo de marque Bell &Howel.
C’est au fur et à mesure de son avancée pour libérer le territoire que l’Armée rouge et les opérateurs de cinéma découvrent la barbarie nazie dans la mise en œuvre de la Solution finale avec l’ensemble de ses modes opératoires : asphyxie au gaz d’échappement dans des camions aménagés, exécutions par balles, chambres à gaz et fours crématoires des camps d’extermination, expériences médicales, SonderAktion 1005 (opération spéciale de destruction des preuves du génocide de l’Opération Reinhard ).

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Peu de place pour le génocide des juifs

Face aux crimes, les Soviétiques créent une commission d’enquête centrale et des tribunaux locaux. Ils collectent des preuves de toutes natures (témoignages oraux, écrits, objets, photographies, films, fosses, ossements, compte-rendus des expérimentations médicales...). Ils instruisent des procès sur les lieux même des crimes dont les jugements ordonnent la mise à mort des bourreaux nazis, le plus souvent par pendaison publique. A Nuremberg, les Soviétiques montreront Les documents cinématographiques des crimes commis par les envahisseurs germano-fascistes montage de scènes captées entre 1941 et 1945 sur le front et qui documentent sur les pratiques de mise à mort nazies, sans parler de l’identité des victimes. De nombreux films « christianisent » les juifs assassinés et ne mentionnent les victimes que par nationalités : russe en Russie soviétique, ukrainienne en Ukraine soviétique et, par extension, polonaise en Pologne, et les offices religieux montrés pour honorer les victimes juives sont orthodoxes (on ne parlait pas non plus du génocide des juifs dans les documentaires américains, sauf dans une séquence du film montré à Nuremberg. Il en alla d’ailleurs de même d’ailleurs pour leurs films de fiction à l’exception de rares films de fiction comme le très beau The mortal storm La tempête qui tue de Frank Borzage (1940) ou None shall escape 1943 (inédit en France) du catholique hongrois réfugié à Hollywood André de Toth).

Le cinéma soviétique de guerre présente une double contradiction : ses rushs constituent le plus riche témoignage sur le génocide mais sa vocation documentaire est souvent trahie par les choix de narration et de montage final des films, ainsi le film sur Katyn attribue le massacre aux nazis. Les films sovéiétiques masquèrent souvent l’existence de la Solution finale au profit d’un récit héroïque de roman national ne montrant que les souffrances et la résistance du peuple soviétique, certes réels. Il y eut aussi l’intégration de quelques images documentaires isolées dans des films tournés en studio ou de reconstitution. Ainsi on retrouve des images collectées à Majdanek par Roman Karmen dans un film "Auschwitz" Aux USA, Frank Capra utilisera aussi dans sa série de propagande Why we fight des images de Roman Karmen en raison de leur efficacité.

Les soviétiques iront jusqu’à effacer de l’image par trucage, les traces des brassards juifs visibles sur les rushs des massacres de Kertch où quatorze mille personnes ont été assassinés ainsi que les nombreux objets de culte (mezouzah, châles de prière…) retrouvés à Auschwitz. Ces signes visibles dans les rushes disparurent au montage final des films destinés au public.
Parfois, le cinéma fera le choix plus rare de mettre en valeur les persécutions des juifs. Ainsi, le tournage du film Les Indomptés de Marc Donskoï (1945). Cette fiction mêle le destin de Taras ouvrier ukrainien dont toute la famille prend part à la résistance et qui recueille la petite fille de leur médecin,Aron Davidovitch disparu lors d’un massacre de Juifs. Le film évoque alors dans une séquence le massacre de Babi Yar à Kiev où 33 771 juifs les 29 et 30 septembre 1941 sont tués par balles.

Envoyé en 1946 pour concourir au festival de Venise, le film de Donskoï obtiendra le Grand Prix.
- © Laura Laufer