Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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John Ford : La poursuite infernale à Mémoire de cinéma au Rex de Châtenay Malabry ce mardi 28 mai.









Mémoire de cinéma, programmation Laura Laufer.
Pour cette avant-dernière soirée du cycle, je présenterai
My darling Clementine , La poursuite infernale , 1946 de John Ford, mardi 28 mai à 20h30, au Cinéma Rex
364, Avenue de la Division Leclerc, 92290 Châtenay-Malabry.
Tél :01 40 83 19 73. Cinéma Le Rex cinema.lerex.free.fr/‎ Cycle Mémoire de cinéma : achetez une place et venez à deux !

John Ford cinéaste pionnier dans la création des formes, en particulier celles du western, demeure un de mes cinéastes de "chevet" et si le mot "dialectique" au cinéma a du sens, Ford me semble un de ceux qui l’incarne en premier.

Plusieurs films ont pour récit le célèbre règlement de comptes à OK Corral. Pour ma part, j’en retiens trois : Frontier marshall, (L’aigle des frontières) 1939, du vétéran Allan Dwan lequel a débuté vers 1911, My darling Clementine (La poursuite infernale, 1946) de John Ford et le très beau Wichita, (Un jeu risqué, 1955) de Jacques Tourneur. Je n’aime guère le célèbre Règlement de compte à OK Corral, 1957, de John Sturges, malgré les toujours belles présences de Burt Lancaster et de Kirk Douglas. Je suis heureuse de pouvoir présenter La poursuite infernale beau western de John Ford par son lyrisme tendre et nostalgique. Pour le tourner, Ford retourne à Monument Valley dont il disait J’ai été partout dans le monde mais je considère cet endroit comme le plus beau, le plus complet et le plus calme de la planète. Pourtant la ville de Tombstone où eut vraiment lieu le duel d’Ok Corral, est située à plus de 8O0 kilomètres de Monument Valley, et il faut huit heures en voiture pour s’y rendre !

À gauche : le bal, rite qu’on retrouve dans de nombreux westerns de Ford. Ford aimait la manière de marcher et la gestuelle très personnelle d’Henri Fonda. A droite, preuves de la culture et de la sensibilité du personnage, Doc Holiday (Victor Mature) poursuit la tirade d’Hamlet qu’oublie l’acteur.

La version de La poursuite infernale tournée par Ford n’existe plus car le producteur Darryl F Zanuck l’a amputée d’environ vingt minutes et a commandé à Lloyd Bacon de retourner quelques séquences, une fois le travail de Ford terminé. J’ignore si la copie, que je présenterai ce 28 mai, a pour montage celui de la version restaurée à partir d’une copie "preview" plus proche de ce que voulait Ford, à l’origine, ou la version standard de Darryl F Zanuck.

Dans la copie plus fordienne de la "preview" (on la trouve en bonus de l’édition DVD- Région1 chez 20th Century Fox), la mise en scène est plus subtile et surtout plus sobre que la version "Bacon - Zanuck", notamment dans l’usage de la bande son dans ses temps de silence, de bruits et de musique. Ainsi, dans la séquence de l’arrivée du personnage de Clementine Carter, John Ford n’avait fait naître la musique que très doucement et seulement vers la fin de la séquence. Les sons produits par les pas et les rares paroles, tels que Ford les avait organisés, donnaient à la séquence un beau crescendo émotionnel. Zanuck, lui, ordonne de "tapisser" toute la séquence de musique, ce qui a pour effet d’en niveler la force d’émotion. C’est Stravinsky qui parlait, avec raison, de son mépris pour le cinéma quand celui-ci utilisait la musique comme " tapisserie ! "-.

Les conceptions de Zanuck et de Ford ont souvent divergé sur le final des films. Ainsi pour Les raisons de la colère, Ford voulait clore le film sur le départ de Fonda s’éloignant sur la route à l’horizon : une fin organique et qui apparaissait de nécessité interne au regard de l’évolution du récit du film. Cette fin apparaissait d’autant cohérente qu’elle confirmait le processsus d’éclatement de la famille sous l’effet de la crise capitaliste que montre Ford dans plusieurs de ses films, tel que dans Qu’elle était verte ma vallée. C’est Zanuck qui a imposé que soit tournée, par un autre réalisateur du studio, une fin "optimiste" où la mère affirme que le peuple survit toujours aux épreuves.

Dans "La poursuite infernale", la différence entre entre la version de Ford et de Zanuck. John Ford voulait que le personnage de Wyatt Earp, à la fin du film, reste vivre dans la ville de Tombstone. Il accepta que le personnage, quittant la ville, serre la main de Clementine en guise d’un au revoirqui ouvre sur un possible retour. La séquence tournée par Lloyd Bacon à la demande de Zanuck, montre Earp embrasser Clementine sur la joue.

Print the legend !
My darling Clementine (La poursuite infernale) met en scène deux figures mythique de l’ Ouest américain, Wyatt Earp et Doc Holiday et les fait combattre, côte à côte, dans le célèbre règlement de compte à OK Corral lequel a vraiment existé.

À propos de Wyatt Earp, Ford déclarait au critique et cinéaste Peter Bogdanovich : « J’ai connu Wyatt Earp dans les premières années du cinéma muet. Il venait quelquefois au cours de l’année rendre visite à ses camarades et aux cow-boys qu’ils avaient connus à Tombstone. Une partie d’entre eux appartenaient à notre compagnie. À l’époque, je crois que j’étais assistant accessoiriste. J’avais l’habitude de lui donner une chaise et une tasse de café. Il me parlait de la bataille d’OK Corral. Ainsi, lorsque j’ai tourné La Poursuite infernale, je l’ai reconstitué telle qu’elle avait eu lieu. Les adversaires ne se sont pas contentés de marcher dans la rue et de se tirer dessus, ce fut une véritable manœuvre militaire. »

Depuis Le massacre de Fort Apache et jusqu’à L’Homme qui tua Liberty Valance, Ford révèle que la réalité des faits demeure cachée au profit de la légende : « On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende », (This is the West, sir. When the legend becomes fact, print the legend).

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Photo de Wyatt Earp vers 33 ans

Doc Holiday Doc Holiday.

Aussi bien en ce qui concerne le lieu, l’ action, les personnages et la chronologie du règlement de compte à OK Corral, Ford a inventé un univers plastique et dramatique qui tient peu compte de la réalité des faits. C’est là le privilège du poète. C’est donc bien à l’imaginaire de John Ford qu’on doit ici le personnage d’Earp joué par Henri Fonda, une création qui fait devenir ce personnage, d’abord inspiré par la vengeance familiale, l’ incarnation même de la loi.

John Ford donnera une apparition aux deux personnages de Wyatt Earp et de Doc Holiday dans Cheyen Autumn. il s’agit de deux personnages joueurs, tels qu’il le furent dans la réalité, car en vérité Wyatt Earp était peu recommandable ! Voici la séquence concernée et notez qu’ elle fut,en partie, coupée dans les copies distribuées en France.

De quelques thèmes et figures fordiennes

Voici quelques thèmes et figures, chers à John Ford, qu’on retrouve aussi dans My darling Clementine : le bal, le docteur, la famille, Monument Valley, la légende....
Je vous propose ici de regarder un autre bal dans Le massacre de Fort Apache : dans cette séquence où Fonda incarne le rôle du lieutenant-colonel Thursday, c’est le protocole qui compte. Si John Ford aime à filmer de telles séquences, nombreuses dans ses films, de rites ou de protocoles, ce n’est jamais gratuitement. À travers leur usage et leur pratique, il nous définit un personnage. Nous en devinons d’emblée ses caractéristiques morales, psychologiques, physiques, de même que sa classe sociale. Thursday danse ici de manière raide et guindée. Il s’agit d’un officier, personnage enfermé dans ses dogmes fait de racisme et de clichés à l’égard des Indiens. Poussé par la vanité, il cherche la gloire en relançant la guerre avec les Indiens. Sorte de Général Custer, bravache, il exposera inutilement ses soldats. Le film s’inspire de la véritable bataille de Little Big Horn avec le général Custer et nous montre des indiens dignes et victimes de la trahison par les Blancs. Il est produit par la compagnie de productions créée par John Ford (en association avec M. C Cooper), Argosy Pictures.

Docteurs
À gauche : comme Doc Holiday, le docteur Boone de Stagecoach (La chevauchée fantastique) est un docteur déchu et alcoolique. Il lui faut dessouler pour accoucher une femme. Au centre : extraits du début du dialogue de cette séquence extraite de La charge héroïque (She wore a yellow ribbon, 1949) entre le capitaine Nathan Brittles (John Wayne) et le Docteur O’ Laughlin (Arthur Shieds).
"Le docteur O’ Laughlin : Je vais tenter une opération très difficle. Il faudrait faire arrêter la colonne....
Brittles : "Ah ! Non ce serait trop risqué". O’ Laughlin : "Rien qu’une demi-heure Nathan ! Vingt cinq minutes et je suis certain de pouvoir le sauver". Brittles : "Docteur arrêter la colonne serait une folie, je ne la commettrai en aucun cas. Je ne peux pas vous donner même cinq minutes , même s’il s’agissait de mon propre fils ! Quayne est un soldat , il doit courir les risques du soldat". O’ Laughlin :" Il sait cela ! C’est moi qui vous le demande, Nathan". Brittles. Brittles : " Je vais essayer de vous aider. Halte Pied à terre !". O’ Laughlin : "Je vous remercie".
O’Laughlin sera assisté dans cette opération délicate par Aby (Mildred Natwick). Dans cette scène, John Ford introduit au cœur d’une situation dramatique une note comique par l’usage de l’alcool qui sert ici, comme souvent dans son cinéma, de remède aussi bien tonique qu’antiseptique !
À droite une séquence des Cavaliers où Major Henry ’Hank’ Kendall (William Holden) après une courte intervention est pris à partie par le Colonel John Marlowe (John Wayne). La guerre, c’est la division du travail : celui du colonel est de faire sauter les rails des trains alors que, dans le civil, son métier est d’en construire. De même son avancée dans le Sud se fait par la pratique de la terre brûlée et de la destruction des vies. Le rôle du médecin est de réparer les corps mutilés. Il s’agit d’un travail complémentaire.

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Article paru le 10/03/2005

Pour John Ford

par Laura Laufer

La sortie en DVD de quatre films majeurs de John Ford nous donne l’occasion de revenir sur l’œuvre de ce cinéaste génial et exceptionnel.

La carrière de John Ford, cinéaste d’origine irlandaise né en 1894, débute en 1917- (note 1). De 1937 à 1941, il réalise une série de chefs-d’œuvre qui viennent de sortir en DVD, Je n’ai pas tué Lincoln, Vers sa destinée, Sur la piste des Mohawks (coffret Opening) et Les Raisins de la colère (Fox Pathé).
Ces films correspondent à la période où, sous contrat avec la Fox, l’artiste combat la standardisation du studio et la tyrannie du producteur Zanuck. Ford conçoit le montage dès le tournage, adopte le principe de tourner le moins possible et décide de ses dialogues parfois au dernier moment.

Cinéaste du social

Je n’ai pas tué Lincoln raconte l’erreur judiciaire célèbre qui envoie au bagne Samuel Mudd, accusé de complicité dans l’assassinat de Lincoln. Ce récit intense, tragique, épique, digne de Dumas (Le Comte de Monte Cristo) ou de Hugo, dénonce la justice d’exception et le bagne. À travers son héros, Ford montre les rapports sociaux existants entre Noirs et Blancs sudistes. La guerre de Sécession n’a pas effacé d’un seul coup les relations nées de l’esclavage. Ford a toujours su montrer la ségrégation créée par les nordistes, au nom d’un discours libérateur, qui substitue à l’esclavage un salariat adapté aux besoins du développement capitaliste.

Les deux autres films du coffret Opening traitent des mythes fondateurs des états-Unis. Vers sa destinée trace un portrait mythique de Lincoln, mais ancre celui-ci du côté des humbles. Lincoln y apparaît plutôt proche de ce qu’en dit Marx, dans Die Presse, le 12 octobre 1862 : « Le jeu banal du suffrage universel [...] l’a hissé au sommet, lui, le plébéien qui a bien fait son chemin, de casseur de pierres qu’il était au sénateur de l’Illinois qu’il est devenu, lui qui est [...] sans grandeur de caractère notoire et n’a aucune valeur exceptionnelle, car il est un homme moyen de bonne volonté. » (note 2). L’interprétation de Lincoln par Fonda joue de l’équilibre magnifique entre force et fragilité intérieures comme physiques. Le film, gravé en taille douce, mêle l’humour à l’incandescence de l’émotion, la beauté de l’élégie à la chronique délicate.

Sur la piste des Mohawks évoque la guerre d’indépendance de 1776 et montre l’instrumentalisation des Indiens faite par les Torys. Premier film en couleurs du cinéaste (1939), il doit aussi être vu à la lumière des bruits de bottes qui se lèvent alors en Europe. Il célèbre le mythe fondateur de la nation qui unit Indiens, Noirs, Américains autour de la bannière des treize États saluée à la fin du film. Ford a resserré l’action sur le couple que forment Henri Fonda et Claudette Colbert, confronté aux aléas de la vie, où bonheurs et malheurs se succèdent. Mort du premier né, perte de la ferme, naissance d’un autre enfant. Zanuck voulait un film où la bataille ferait le clou du spectacle. Faisant fi des exigences du producteur, John Ford attendit les derniers jours du tournage et, brechtien, remplaça la scène de bataille par le récit - une vraie boucherie -, qu’en fait le héros, épuisé, à son retour.

A travers les états-Unis

Adapté du roman de Steinbeck, Les Raisins de la colère raconte la chevauchée fantastique d’une famille de pauvres métayers expulsés de leurs terres par la restructuration capitaliste. Les héros vont de l’Oklahoma à la Californie, à bord d’un vieux camion, dans un véritable road movie social qui dresse un tableau lucide de la misère et des rapports de classes. John Ford finissait son film là où Tom Joad quitte sa mère et disparaît à l’horizon pour porter dans le monde son engagement sur la nécessité de lutter. Cette fin jugée trop dure par la production - et Ford refusant de tourner une happy end -, Zanuck tourna lui même la scène qui clôt le film, atténuant ainsi l’émotion poignante de la séquence de séparation. Dans cette scène additive, Ma Joad affirme, qu’après en avoir vu de toutes les couleurs, elle n’aura plus jamais peur de rien, concluant : « Nous durerons toujours car nous sommes le peuple. »

On goûte, dans Les Raisins de la colère, la maîtrise absolue de la mise en scène. L’image, magnifique photo de Gregg Toland, y est expressionniste ou documentaire. Expressionniste dans la scène de l’expulsion où l’ombre projetée des paysans expulsés inscrit ceux-ci dans la terre aveuglante de lumière qu’ils ont toujours travaillée. Documentaire dans la terrible séquence de l’arrivée au premier camp, séquence dont le style, par son réalisme, vaut des actualités filmées. Créateur d’une forme cinématographique neuve, John Ford, avec Les Raisins de la colère, anticipait de cinq ans le néoréalisme.
Ces quatre films sortent aussi en salles avec le très beau Steamboat Round the Bend (note 3) et un autre chef-d’œuvre de Ford, La Poursuite infernale, tous distribués par Les Grands Films classiques.

L’œuvre fordienne, véritable comédie humaine à la Balzac, n’a pas son pareil au cinéma (excepté chez Renoir et Mizoguchi) pour donner à chaque petit rôle un personnage à part entière, reconnaissable dans la communauté : « J’ai toujours eu la certitude que les petits rôles, quel que soit le film, sont aussi importants que le rôle principal, puisque ce sont eux qui habitent l’histoire, qui construisent l’atmosphère, qui crédibilisent le film".(note 4)
L’œuvre protéiforme de ce passionné de Shakespeare possède un style unique, où la clarté et la simplicité apparente du récit « classique » masquent la complexité du propos. Très dialectique, l’écriture fordienne montre le réel avec tous les reflets des contradictions qu’il engendre.

En réalité, ses films travaillent l’Histoire au corps, en édifie d’abord les mythes, puis révélant que la légende prime sur la vérité, le cinéaste les déconstruira. John Ford a donné ses plus beaux chefs-d’œuvre de 1956 à 1965, avec La Prisonnière du désert, Les Cavaliers, Les Deux cavaliers, L’Homme qui tua Liberty Valance, La Taverne de l’Irlandais, Les Cheyennes...

Après plus de cent trente-cinq films, l’œuvre se clôt par un écran totalement noir, à l’ image de la vision cruelle et désespérée que Ford portait sur le monde dans un ultime chef-d’œuvre à la beauté crépusculaire, 7 Women. Laura Laufer
- 
1. Voir l’utile essai de Jean Roy, Pour John Ford. éditions du Cerf.
2. Citation reprise par Jean Roy.
3. Le film est distribué sous ce titre d’origine.
4.Entretien avec Ford dans le magasine Photoplay, 1936.