Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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Soutien à Jafar Panahi et aux cinéastes syriens censurés.









SOUTIEN A Jafar PANAHI et AUX CINEASTES SYRIENS CENSURES.

Alors que le régime de Bachar el-Assad réprime dans le sang la contestation en Syrie depuis plusieurs semaines, le réalisateur syrien Oussama Mohammed a tenu à rendre hommage au cinéaste iranien Jafar Panahi condamné à 6 ans de prison l’an dernier, peine assortie d’une longue interdiction de toute activité cinématographique "Puisqu’il n’est pas libre de faire son cinéma, il n’est pas libre tout court, a expliqué le cinéaste syrien Oussama Mohammed. Car la liberté d’un cinéaste est celle de son cinéma : sa personnalité et son imagination existent dans ses films. C’est ce qui fait de lui un vrai citoyen de son pays et du monde", et insisté sur la responsabilité des cinéastes dans le mouvement populaire pour les droits démocratiques qui secoue la Syrie : "C’est mon pays, c’est mon peuple. La démocratie est notre but, c’est le but du cinéma et des cinéastes. Aujourd’hui se déroule une vraie guerre entre le peuple et les autorités, le peuple et la dictature. Nous faisons partie de ce monde qui comprend les autorités, la dictature et le peuple."

Pour marquer son soutien à Jafar Panahi, la Quinzaine des Réalisateurs a programmé le dernier film de Jafar Panahi, Offside, sorti en 2006 et lui a remis le prix du Carrosse d’or à la Quinzaine des réalisateurs et a réussi à envoyer aux organisateurs du festival de Cannes un court film de 75 minutes qui a été projeté en sélection officielle. C’est Agnès Varda qui a remis ce prix avec la conviction et l’inventivité poétique qu’on lui connaît. Regardez plutôt :

La Quinzaine des Réalisateurs a programmé le dernier film du réalisateur Jafar Panahi, Offside, sorti en 2006. Le cinéaste s’est vu remettre le prix du Carrosse d’or à la Quinzaine des réalisateurs et a réussi à envoyer aux organisateurs du festival de Cannes un court film de 75 minutes qui a été projeté en sélection officielle.

Rappelons que le cinéaste a été condamné à 6 ans de prison l’an dernier assorti d’une longue peine l’interdiction de toute activité cinématographique. C’est Agnès Varda qui a remis ce prix avec la conviction et l’inventivité poétique qu’on lui connaît. Regardez plutôt :

QuickTime - 4.6 Mo

Un débat sur la liberté d’expression a été organisé par la S.R.F et animé par Jean-Michel Frodon avec Reza Serkanian, réalisateur iranien, Costa Gavras et le cinéaste syrien Oussama Mohammed.

Ci -dessous, je vous propose de lire le texte, L’Adolescent et la Botte rédigé par Oussama Mohammed et lu sur scène par l’actrice Darina Al Joundi, qui en a aussi assuré la traduction.

Ce texte a été écrit pour s’élever contre le massacre des populations civiles dans son pays,suite à la diffusion d’une vidéo montrant des violences et humiliations infligées à un jeune manifestant arrêté à Deraa par les services de sécurité.

Une conférence de presse en présence d’Agnès Varda, de Reza Serkanian et de Oussama Mohammed et des co-présidents de la SRF a complété complété l’action de la SRF sur la liberté d’expression.

Vous pouvez aussi voir un appel des cinéastes syriens en cliquant sur le lien suivant :

http://www.facebook.com/pages/Syrian-Filmmakers-Call/126580747420279

Laura

L’Adolescent et la botte

« Le train de Deraa s’est ébranlé. Mon oncle a aidé notre voisin. Sami a des montres dans son magasin » (leçon de lecture pour une classe primaire).

« Le petit garçon a embrassé la botte de l’officier ! » (Leçon de lecture de l’époque.)

Le petit garçon, l’adolescent de Deraa a embrassé la botte de l’officier ou celle de l’agent de renseignement ou celle de l’adjudant ! Nous ne pouvons pas l’identifier… Il décline son identité à travers le seul élément filmé, sa botte de sécurité. La camera filme de haut en bas car l’adolescent est à genoux pour embrasser la botte, qui ouvre la porte de la vie.

Dans cet épisode, deux héros : l’adolescent et la botte. L’adolescent est très net à la limite du dénuement. Il est, il est… Je ne connais pas son nom. Le deuxième héros, la botte. C’est ainsi qu’il se présente dans son film. Nous n’avons pas eu l’occasion de savoir auprès de l’adolescent quels étaient les rêves de ses premiers émois ? A quoi a-t-il rêvé la nuit dernière ? Quand il a essayé de dormir pour la dernière fois ? Avant de pénétrer cet enfer ?

S’est-il vu en train d’embrasser son amoureuse comme nous l’avons tous fait ?

Nous ne pouvons lui poser la question, et il ne pourra d’ailleurs pas nous répondre. A qui était-il donc destiné ce baiser ? Celui d’un jeune adolescent. Complètement dénudé, sinon de son effroi, de sa stupeur et de sa peur… Comme s’il sortait de Hiroshima… A la recherche de nouvelles prémices d’une autre vie espérant que cette fois-ci elle ne se terminerait pas ici…

Quand l’adolescent pose la tête sur l’oreiller, il réveille son baiser sans oser la déranger… Englué, empêtré dans les codes moraux et ethniques… dans la noblesse chevaleresque des Arabes et leurs poèmes…

Sans doute cache-t-il son premier baiser à celle qu’il a aimée, ou à celle qu’il aime ou bien à celle qu’il aimera un jour. A celle qu’il connaîtra. Il découvrira dans ce baiser le jaillissement de la vie… Il ne s’imaginait pas, notre adolescent, qu’il allait trahir la vie, l’amour et sa bien-aimée en apposant son premier baiser sur cette botte, dans sa nudité première.

Ses ongles plantés dans la botte, il la baise, cet adolescent dénudé. Il embrasse la botte. Le deuxième héros de l’épisode. La botte qui reçoit le baiser. Qui viole le baiser de l’adolescent, le rêve de l’émoi. La botte, le deuxième personnage. Quintessence absolue de la sécurité et de la répression.

L’adolescent, dépouillé de ses espérances baise la botte de la sécurité. En se réfugiant dans le coin de la cellule, il aura abandonné son baiser sur cette botte et il l’aura définitivement perdu. Il reste alors sans baiser…

Quand j’ai vu ce que j’ai vu… Je l’ai vu, moi... Je me suis vu dans ce garçon et j’ai baisé avec lui la botte.

Tel est le cinéma non élitaire, celui qui s’adresse aux masses. Qui atteint le spectateur en son cœur, en son esprit et en ses sens... Dans l’instant et sans difficulté... Le cinéma direct mais plein de détours, d’images qui en génèrent d’autres. Et qui finalement pose une question existentielle… Le cinéma est une lettre. N’est-ce pas ainsi ? Cette lettre m’a atteint. Et je pense qu’en ce lieu qu’on appelle la prise de conscience, elle aura atteint chacun des Syriens, chacun d’entre nous de Deraa à Kamishli en passant par Douma, Homs et la côte syrienne. Et je suis sûr, que tous, sauf quelques bottes, n’éprouvent que honte et épouvante face au crime.

L’image à elle seule suffit pour que les êtres sortent dans les rues pour protester contre la botte. Se pourrait-il qu’un groupe ou l’autre ? Qu’une famille ou sa voisine ? Qu’un être ou l’autre ? Qu’une femme ou un homme ? Se divisent sur cette honte… Et en cet instant de référendum, de vérité à la fin d’une journée, quand les Syriens posent leurs têtes sur leurs oreillers parfumés d’angoisse, se pourrait-il qu’ils votent pour la botte ?

Tel est le rêve de mon éveil. Le vote sur l’oreiller ? Les Syriens pourraient-ils se diviser sur ce point ? Pourraient-ils oublier cet épisode ? La réponse est oui.

Moi-même je l’ai oublié.

C’est vrai qu’il m’a réveillé à trois heures du matin et m’a poussé à écrire ce texte, mais je l’ai oublié. Bien que j’aie embrassé la botte avec l’adolescent. Mais je l’ai oublié... dans l’épisode suivant, il y a un rendez-vous avec le meurtre.

Dans cet épisode l’adolescent survole la surface du globe, porté par les bras et les jambes. Tel un gladiateur dans le film Gladiateur. Le gladiateur ne meurt pas dans le film car c’est un film. La terre se retirait sous le dos du jeune Syrien qui volait. Et il se demande… et il ne se demande pas. Et il était étonné, éberlué…

C’est la première fois qu’il mourait ainsi en Syrie.

La première fois qu’il manifestait... Qu’il voyait l’autre, la mort. Il manifestait pour la vie, il ne manifestait pas pour la mort. Il manifestait sa propre mort.

Il est mort en martyr. Il est mort.

Il ne restait pour ceux qui l’ont secouru que l’implorer pour s’emparer de sa nouvelle identité… au nom de Dieu miséricordieux. Et dans l’objectif de l’univers il a expiré vers nous, son âme. Aucun de ces martyrs n’a été montré dans les journaux télévisés des chaînes publiques. Elles n’ont pas diffusé l’âme du jeune adolescent…
Cet adolescent qui a « exhalé » la patrie et s’en est exilé.

Les Syriens pourraient-ils se diviser sur ce point ? Pourraient-ils oublier cet épisode ? La réponse est oui. J’ai oublié cet épisode. Je l’ai vu vivant lors de ses propres obsèques. Dans ces manifestations « pacifiques » diffusées sur YouTube. Dans ces manifestations de la liberté sur YouTube. Manifestations pacifiques du martyr vivant… Nulle image du martyr dans les JT des chaînes publiques. Dans ces JT, l’adolescent a été tué par des « mains inconnues » qui portent atteinte à la Patrie. Et puisque l’assassin est « inconnu » le tué est devenu lui aussi « inconnu ».

Le tué a été éjecté de l’épisode et il est remplacé par le tueur. Et puisque le tueur est flou... Aucune image de lui. Il est devenu un langage. Le mot a remplacé l’image comme dans tout film médiocre. Les cellules du mot se sont multipliées jusqu’à devenir une image, une image sans image. Son nom est « la Bande »...

Et l’épisode officiel s’est mis à souffler de son âme sur la braise de l’imaginaire collectif, attiser la peur collective et bâtir l’image de « l’inconnu » à l’image de l’effroi !

Image contre image !

La peur ou la liberté !

On a effacé l’image de l’adolescent par celle de l’imaginaire de « la Bande ». La peur a remplacé la peur par la peur, et s’est endormie sur son oreiller. Est-ce possible d’oublier l’image et le son de l’âme dans le dernier souffle de jeune syrien ? Quel mot cherchait-il à exprimer alors que la terre emplissait sa bouche, sinon, celui –flou– de Patrie ? Quelqu’un pourrait-il ? Quelqu’un peut.

Car « la Bande » tire à balles réelles sur les rêves des premiers émois…

Les rêves des premiers émois… Ces rêves ne sont pas libres et ne connaîtront rien à la liberté sinon en la pratiquant. Que se passera-t-il quand les Syriens se soulèveront lors du référendum depuis leurs oreillers ? Pourront-ils voter pour l’assassinat du jeune qui crie pour la liberté, la paix et l’unité du pays ? Pourront-ils voter oui sur la toile de Facebook ? Que dira la majorité du pays avant de sombrer dans le sommeil ? Approuvera-t-elle l’assassinat de l’adolescent ?

Il fallait absolument que l’image contraire grandisse et coince « la Bande ». Pour éveiller les consciences durant le référendum. Et pour que l’image du tueur ne s’effondre point, il fallait absolument effacer celle de l’adolescent assassiné, ses contours, son nom, celui de son amoureuse, ses histories, ses secrets, la légèreté de son esprit, la couleur de ses yeux, son chanteur préféré, sa situation militaire, où a-t-il fait son service militaire, s’est-il fait des amis dans tout le pays ? Est-ce bien lui qui appelle à l’unité de tout le pays ?

Il les appelle, ils lui manquent et il a confiance en eux ? Pour cela, il ne devait pas paraître à l’écran. Car il remporterait pour sûr le référendum de l’oreiller. C’est pourquoi la censure efface son image. Toute image. Son image pacifique, celle pour la liberté et la remplace par l’image du langage d’un tueur inconnu qui tire sur tout ce qui bouge.

Dans les JT officiels, les martyrs et les assassins n’apparaissent pas. La langue crée sa propre image. L’image de la peur.

Les manifestants pacifiques ont tué leur propre peur. Ils l’ont enterrée avec les cadavres de leurs martyrs. La peur n’a pas accepté l’idée de sa propre fin. Elle s’est revivifiée en réactivant la tuerie. La tuerie a peur. Elle ne veut pas de référendum. Elle ne veut pas du pluralisme. Elle veut « un » autre embrassant comme un seul homme la botte. Le tueur est une chaîne pluraliste qui crée la pluralité des victimes et celle de la peur.

La tuerie tue le référendum. Auquel tous participent, ceux qui réclament la liberté, ceux qui la craignent, les alliés et les opposants, les hésitants, un référendum qui nous indiquerait notre lendemain, quels que soient les résultats.

La corruption ne veut pas de référendum pacifique à propos de la corruption.

Les services de sécurité ne veulent pas d’un référendum pacifique à propos de leur immunité, de leurs balles, ni à propos de l’emprisonnement des blessés et des tortures qu’on leur a infligées.

Le référendum pacifique pourrait réunir une majorité de tous les horizons pour l’unité, celle du pays, pour un état de droit. Les tueurs font la course à la mort pour empêcher le référendum. Or tuer une âme innocente, c’est comme tuer toutes les âmes. Mais le crime parfait n’existe pas. L’image du tueur est dissimulée dans sa copie qui est elle-même dissimulée. C’est celle de la langue qui apparaît sur les écrans officiels… Les épisodes censurés... Celle des citoyens innocents, martyrs de cet écran de fumée.

Ces images officielles tentent de faire que ces martyrs syriens ne deviennent pas ceux de toute la Syrie. L’écran emprisonne les cadavres des martyrs du premier référendum dans ses cellules.

Oussama Mohammed