Laura Laufer est l'auteur du livre Jacques Tati ou le temps des loisirs, publié aux Editions de l'If.

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Ecrans philosophiques à Montreuil, Los Olvidados- Buñuel

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On pourra voir Los Olvidados de Luis Buñuel dans le cadre des Ecrans philosophiques organisés par La Maison Populaire de Montreuil
le 17 février à 20h 30 au cinéma Georges Méliès. M° Croix de Chavaux.

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Lire aussi sur ce même site l’article sur la période mexicaine de Don Luis Que viva Buñuel ! dans la rubrique L’âge d’or, clic en haut à gauche de l’écran.





Los Olvidados

1950 : le producteur Oscar Dancigers commande à Buñuel une histoire sur les enfants pauvres de Mexico. Le cinéaste entreprend alors une enquête rigoureuse. Durant six mois, il se rend dans les quartiers pauvres, se lie d’amitié avec les gens, dépouille presse et archives criminelles de la police sur la délinquance des jeunes déshérités, rencontre psychiatres et pédagogues. Ce travail rigoureusement documenté lui permet d’élaborer le scénario et il tourne ce film de petit budget en trois semaines et le monte en trois jours.

Don Luis sait que son film ne ressemble en rien aux drames urbains et films sociaux mexicains de l’époque où discours moralisateurs et images édifiantes sur les pauvres et les exploités dominent. La misère n’est pas belle.

Pressentant le rejet possible du film, Buñuel décide d’ajouter aux premières images ce commentaire en voix off : « Les grandes villes modernes cachent derrière leurs imposants édifices des foyers de misère abritant des enfants mal nourris, sans hygiène, sans école, pépinières de futurs délinquants. La société essaie de guérir cette plaie sociale, mais le résultat de ses efforts est très limité. Ce n’est que dans un proche avenir que les droits de l’enfant et de l’adolescent pourront être revendiqués pour que ceux-ci soient utiles à la société. Mexico, grande ville moderne, ne fait pas exception à cette règle universelle. C’est pour cela que ce film s’inspire de faits réels. Il n’est pas optimiste et laisse la solution du problème aux forces progressistes de la société. »

Los Olvidados fait scandale au Mexique. Les intellectuels, les politiques le dénoncent, certains souhaitent voir Buñuel, devenu mexicain en 1949, expulsé pour insulte à la nation, mais l’écrivain Octavio Paz défend magnifiquement le film dans un texte distribué au Festival de Cannes où il sera primé.

Face au mot d’ordre de notre terrifiante société « fermer les yeux », celui de Buñuel est de les ouvrir. D’une exceptionnelle lucidité, son film témoigne dans un style où la caméra choisit une distance objective, interdit l’identification aux personnages mais ne s’oppose jamais à l’émotion. Son art refuse tout sentimentalisme, toute compassion et le titre « Pitié pour eux » donné par la distribution française est honteux. Buñuel le dénoncera. Seule sa volonté documentaire s’exprime dans un art inflexible, rigoureux, implacable qui tient de la déflagration : la vision de Los Olvidados provoque choc et bouleversement.

Buñuel y plante superbement le décor, construit ses personnages, pousse à fond la logique tragique dans la tradition espagnole la plus pure où les gueux, l’aveugle, l’homme tronc, en un mot La Misère hérite de l’esprit des toiles de Ribera, Murillo, Goya. Pourtant, l’humour ne manque pas à l’apparition insolite d’une poule qui semble se moquer de l’aveugle. Buñuel fut la seule véritable incarnation au cinéma du surréalisme. Ici, les séquences oniriques (rêve de Pedro, mort du Jaïbo) passent avec maestria de la forme objective et réaliste à celle, subjective, qui montre le songe ou la vision. Elles ouvrent à l’imaginaire poétique par la dissociation de l’image et du son, l’usage magistral du ralenti et de la musique, la présence du bestiaire cher à Buñuel.

Par l’enchaînement inéluctable des faits dans un récit sobre et concis, Los Olvidados est une tragédie des plus pure : aucune inflexion mélodramatique, ni optimisme, ni pessimisme, ni bien, ni mal, non plus. Buñuel voyait dans le cinéma « une arme magnifique et dangereuse » et, seule, le guide ici la volonté d’ouvrir à la conscience.

Los Olvidados, film superbe, inspiré par la révolte contre l’injustice, obéit à l’injonction surréaliste de « L’ Art pour changer la vie ».

Laura Laufer